vendredi 31 août 2012

Les poules boréales (partie 1)

Les poules ? C'est comme cela que nous les appelions, François Gagnon et moi, lorsque nous partagions nos observations de la matinée, en attente du repas du midi qui mijotait à feu doux sur le poêle au propane.  Mais, faut-il le préciser, ce nom de poule ne s'adresse naturellement qu'aux femelles des gallinacés observables en Abitibi soient celles des Gélinotte huppée / Ruffed Grouse (ou perdrix), Tétras du Canada / Spruce Grouse ou Tétras à queue fine / Sharp-tailed Grouse. Alors que l'observation de ces espèces n'est pas commune au début juin, elle devient plus fréquente trois ou quatre semaines plus tard. En effet, les femelles sont alors beaucoup plus faciles à repérer le long des chemins forestiers tôt le matin ou en soirée. La raison est qu'elles sont accompagnées de leur marmaille qui peut compter, selon l'espèce, de 6 à 14 poussins. Elles les entraînent sur un terrain dégagé où se trouvent à foison les criquets, sauterelles, araignées, fourmis et charançons. Ils se repaissent également de jeunes pousses et de fruits comme les bleuets. Lorsqu'ils deviennent adultes, leur régime alimentaire se compose d'environ 10% d'insectes et de 90% de végétaux, pour le Tétras à queue fine tout au moins.

À chacun son habitat et son comportement 

La Gélinotte huppée habite principalement les peuplements feuillus et mixtes. L'hiver, elle s'abrite dans les conifères où le couvert dense l'aide à se protéger des intempéries.

Je surprends cette gélinotte le 7 mars 2012, à la Base de Plein Air de Sainte-Foy, alors qu'elle s'abrite dans un conifère, haut perchée, bien à l'abri des intempéries et du vent qui font facilement chuter la température de plusieurs degrés en peu de temps.

On la rencontre dans les lisières des forêts, les clairières, les ravins ainsi que les rives des cours d'eau bordés d'aulnes ou de saules. Elle fréquente aussi les lieux perturbés en forêt. L'abattage, le brûlage et les perturbations naturelles dans le tissu forestier créent des habitats qui lui permettent de satisfaire ses différents besoins en alimentation et en abris. Sédentaire et plutôt solitaire, la gélinotte passe toute sa vie dans un domaine habituellement inférieur à 100 hectares (247 acres). À l'intérieur de celui-ci, le mâle défend, au printemps, un territoire d'accouplement dont la superficie atteint 6,7 hectares (Archibald, 1975). La femelle, pour sa part, défend seulement l'espace immédiat de son nid (Maxson, 1978). Au Minnesota (USA), la densité de population des mâles atteint 2,5 par kilomètre carré dans une forêt de conifères et 25 individus au kilomètre carré (2,5 individus par 10 hectares) dans une forêt de peupliers (Gullion, 1990).



Chez la Gélinotte huppée, le mâle est polygame, i.e. qu'il s'accouple avec plusieurs femelles. Lors de la pariade au printemps, pour établir son autorité auprès de ses congénères et attirer des femelles en vue de l'accouplement, il tambourine, juché sur un tronc d'arbre renversé ou sur tout autre support similaire. Ce tambourinage débute après la fonte des neiges et atteint son intensité maximale à la fin d'avril et au début de mai (Gullion, 1967). Il est aussi émis à d'autres périodes de l'année, spécialement à l'automne, par des mâles résidents et par des individus juvéniles en quête d'un domaine, qui défient ainsi des mâles déjà établis (Johnsgard, 1989). Lorsqu'une femelle se présente à un mâle, celui-ci parade, la queue en éventail et la collerette déployée.

Après l'accouplement, la femelle fait son nid sur le sol à la base d'un arbre, d'une souche, d'un rocher ou à l'abri d'un bosquet. Le nid est simplement composé d'un tapis de feuilles et de quelques plumes (Bump et al, 1947). Au Québec, sur une période de 15 jours, la femelle pond une dizaine d'oeufs qu'elle couve de 22 à 24 jours. Elle peut pondre une seconde couvée si la première est détruite au début de la période d'incubation. Le mâle ne joue aucun rôle dans les soins parentaux. Les poussins quittent le nid moins de 24 heures après l'éclosion, accompagnés de la femelle. À l'âge de 10 jours, ils peuvent voler sur de courtes distances pour fuir les prédateurs ou les dangers potentiels.

Cet oisillon de Gélinotte huppée a plus de 10 jours car il peut facilement s'envoler pour rejoindre les premières branches des arbres avoisinants. On peut le différencier du poussin du Tétras du Canada par ses dessous rayés et le début de crête qui se dessine à la base du front.

Les jeunes s'alimentent eux-mêmes dès leur départ du nid, mais c'est leur mère qui doit les conduire vers les meilleurs endroits d'alimentation. Elle est à la fois leur guide et leur protectrice. Les dangers sont bien réels et constants. La femelle, pour les protéger, essaie de détourner l'attention de l'intrus de multiples façons, selon la distance séparant les oiseaux de la source du danger. Je vais partager avec vous une expérience vécue le 9 juillet 2012 en Abitibi, dans la parcelle 17PQ75, alors que ma route croise celle d'une gélinotte. Elle commence d'abord par se montrer ostensiblement. Son but est sans équivoque: pendant que le prédateur que je représente à ses yeux se concentre sur elle, il ne prend plus garde à ce qui se passe autour. Les poussins peuvent alors se mettre à l'abri dans la végétation sans coup férir. Je feins de ne pas flairer son jeu en m'avançant vers elle. Débute ensuite une poursuite chorégraphiée au quart de tour. Deux pas de ma part en induisent 6 de la sienne. Je m'arrête, elle s'arrête. Je repars, elle repart. Je presse le pas et elle détale, mais en demeurant toujours à l'affût de mes gestes. Elle s'assure de garder une distance sécuritaire en tout temps.

Une poule de gélinotte bien au fait de ma présence. Elle s'assure de mon attention afin de m'attirer le plus loin possible de ses poussins.

Je persiste à continuer et me voilà bientôt arrivé au bord du boisé. Elle s'est faufilée dans la végétation sans même faire frémir un brin d'herbe et, moi, je me retrouve avec mon petit bonheur. Mais où est-elle passée ? Impossible de voir quoi que ce soit devant un tel mur de feuilles et de centaines de branches. Je m'avance lentement, j'écarte quelques branches et je me penche pour scruter le sous-bois. Je la retrouve à quelques mètres seulement de moi. Elle me regarde, l'oeil exorbité, la crête relevée, la collerette gonflée et la queue étalée.

Voici la phase deux de la confrontation alors que l'oiseau se fait gros, sort tous ses attributs afin de m'impressionner et il ajoute même des sons qui font penser à des plaintes d'un animal blessé.

Je reste d'abord immobile et je décide de faire quelques pas vers elle. Mon but n'est pas de la harceler inutilement, je veux juste connaître son comportement et voir jusqu'où elle peut aller pour me faire fuir cet endroit. Elle fait alors entendre un chuintement, un espèce de miaulement plaintif, qui ferait croire à quiconque qui ne verrait pas l'oiseau qu'il pourrait s'agir d'un animal en mauvaise posture et prêt à tout pour se défendre. Cet oiseau n'est vraiment pas de bonne humeur. Je recule lentement et je m'éloigne en me dirigeant un peu plus loin dans ce même chemin. En revenant au même endroit, environ 20 minutes plus tard, je tombe encore sur la même femelle et j'aperçois également 3 poussins à ses côtés. En me voyant, m'aurait-elle reconnu ?, elle fonce directement sur moi et elle s'arrête à environ 2 mètres. Voici la photo que j'ai pu en faire, dans des circonstances plutôt inhabituelles.

Sans doute la phase 3 de la confrontation. Je ne vois pas comment l'oiseau pourrait aller plus loin et se mettre lui-même plus en péril que ça.  L'oiseau se trouve à 2 mètres de moi, bien à découvert.

À suivre dans un prochain billet: mes rencontres avec le Tétras du Canada et le Tétras à queue fine.


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