lundi 17 décembre 2012

Madagascar et ses vangidés

Lorsque, en 1990, Olivier Langrand fait paraître son livre "Guide to the Birds of Madagascar", la famille des Vangidés consiste en 14 espèces dont seulement l'une d'entre elles étend son aire de distribution en dehors de la Grande Île, soit l'Artamie azurée / Cyanolanius madagascarinus / Blue Vanga, observable également aux Comores. Toutes les autres espèces sont endémiques à Madagascar. Puis voilà qu'une nouvelle espèce est ajoutée en 1997, le Calicalic à épaulettes / Calicalicus rufocarpalis / Red-shouldered Vanga, ce qui porte à 15 le nombre total d'espèces rassemblées sous cette même famille et réparties en 12 genres, comprenant 22 taxons différents.

Suite à des études approfondies, utilisant des séquences de DNA à partir de plusieurs différents gènes, mitochondriales et nucléaires, il apparaît que, à l'intérieur d'une relative courte période de temps (à l'échelle planétaire) après son arrivée à Madagascar, l'ancêtre commun à tous les Vangidés aurait engendré simultanément cinq lignées différentes. Si les scientifiques ne s'entendent toujours pas sur la provenance de cet ancêtre, la plus probable serait le continent africain.

Le groupe 1 contient le Tylas à tête noire / Tylas eduardi / Tylas Vanga;

le groupe 2, le Hypositte malgache / Hypositta corallirostris / Nuthatch Vanga;

le groupe 3, l'Artamie chabert / Leptopterus chabert / Chabert's Vanga;

Des récentes analyses génétiques indiquent que l'ancêtre de l'Artamie chabert / Leptopterus chabert / Chabert's Vanga s'est scindé entre cette espèce et la Newtonie commune /  Newtonia brunneicauda / Common Newtonia, il y a environ 2.3 millions d'années. Le chabert est un Vangidé noir-et-blanc, relativement petit, avec un cercle bleu de peau nue entourant son oeil noir. Les sexes sont similaires, exception pour l'oiseau juvénile qui n'a pas le cercle oculaire bleu. Le bec du chabert est plus généraliste que chez d'autres membres de sa famille. Il attrape les insectes en vol, à la façon des moucherolles, et il occupe tous les types de forêt à Madagascar, incluant celles en regénération et les plantations, quelquefois loin de celle qui l'a vue naître. Photo prise au parc national de Masoala, le 18 octobre 2012.


le groupe 4, les Falculie mantelée / Falculea palliata / Sickle-billed Vanga, Artamie à tête blanche / Artamella viridis / White-headed Vanga, Vanga de Bernier / Oriolia bernieri / Bernier's Vanga, Vanga de Lafresnaye / Xenopirostris xenopirostris / Lafresnaye's Vanga, Vanga de Pollen /  Xenopirostris polleni / Pollen's Vanga et Vanga de Van Dam / Xenopirostris damii / Van Dam's Vanga;


Bien qu'il y ait de grandes différences entre le bec de la Falculie mantelée / Falculea palliata / Sickle-billed Vanga et celui de l'Artamie à tête blanche / Artamella viridis / White-headed Vanga (illustrée ci haut), il y a plusieurs similarités au niveau de la coloration du plumage. Ces espèces se sont apparemment scindées à partir d'un ancêtre commun il y a environ 1.1 millions d'années. Une différenciation similaire au niveau de la forme et de la taille des becs des oiseaux ainsi qu'une similitude du plumage s'observent de la même façon chez deux membres d'une autre lignée soient les Eurycère de Prévost / Euryceros prevostii / Helmet Vanga et Schetbé rouxSchetba rufa / Rufous Vanga. Selon les experts, les becs se seraient adaptés à leur façon de s'alimenter dans un laps de temps relativement court alors que la variation au niveau du plumage a été plus conservatrice et graduelle. Deux races de l'Artamie à tête blanche sont tentativement reconnues, basées sur une faible différence notée dans la taille du bec. Photo prise le 27 septembre au parc national de Mantadia.


La Falculie mantelée / Falculea palliata / Sickle-billed Vanga est probablement le membre le plus distinctif de la famille des Vangidés, avec son bec particulièrement long et fortement recourbé. À 32 cm de long, avec un bec de 7 cm, et pesant 199 grammes, la falculie est le plus gros des Vangidés. Contrairement à l'Artamie à tête blanche, le mâle et la femelle sont semblables chez la falculie. Alors que le noir de la falculie a des reflets bleutés, ils sont verdâtres chez l'artamie.  L'intérieur du bec de la falculie est d'un noir profond, comme s'il avait été peint à l'encre noir. Elle partage d'ailleurs cette caractéristique avec l'Artémie à tête blanche et le Vanga de Van Dam / Xenopirostris damii / Van Dam's Vanga. Photo prise le 25 octobre 2012 au parc national d'Ankarafantsika.

Seul membre du genre Oriolia, le Vanga de Bernier / Oriolia bernieri / Bernier's Vanga possède un bec fort et conique. L'espèce est sexuellement dimorphique: le mâle est entièrement noir luisant, alors que la femelle est brun-roux foncé et finement rayée. Cette photographie montre justement une femelle qui est venue se percher quelques secondes seulement au-dessus de nos têtes. C'est un oiseau très furtif qui accompagne souvent les groupes d'oiseaux qui patrouillent continuellement la forêt (feeding flocks). Avec d'autres Vangidés découlant de la même lignée, soient les Vanga à tête blanche, Falculie mantelée et Vanga de Van Dam, il partage le rôle tenu par les Picidés sous d'autres latitudes. Le Bernier est capable de s'accrocher à presque tous les troncs verticaux à la façon des pics. Il préfère les forêts humides des basses-terres et il est sujet aux mêmes pressions que l'Eurycère de Prévost / Euryceros prevostii / Helmet Vanga qui partage le même habitat. Photo prise le 16 octobre 2012 au parc national de Masoala.


Dix des douze genres constituant la famille des Vangidés ne contiennent qu'une espèce et l'extraordinaire diversité dans la taille des oiseaux, le coloris de leur plumage et la forme de leur bec créent de la confusion chez les taxonomistes. Cependant, le genre xenopirostris élude toute confusion avec ses trois espèces qui sont toutes compactes et qui possèdent un bec épais, compressé latéralement, qu'ils utilisent pour détacher l'écorce des arbres morts. Ce mâle Vanga de Lafresnaye / Xenopirostris xenopirostris / Lafresnaye's Vanga  a été photographié le 08 octobre 2012 dans la forêt épineuse de MOSA, près de Mangily. 


La plupart des 15 espèces de Vangidés sont largement distribuées et elles sont assez communes dans leurs habitats respectifs. Cependant, sept d'entre elles, incluant le Vanga de Pollen /  Xenopirostris polleni / Pollen's Vanga, ont une aire de distribution assez restreinte. Confiné dans les forêts primaires humides situées à l'est de l'île, le Vanga de Pollen est plus commun dans le sud de son aire que dans le nord où il est très rare ou absent d'habitats qui répondraient parfaitement à ses besoins. C'est la partie des basses-terres où se retrouve son habitat qui est le plus à risque d'être dégradée par l'abattage des forêts et la culture sur brûlis. Si la tendance se maintient, cette forêt sera détruite d'ici une vingtaine d'années. Sa population est déjà assez basse et son statut est préoccupant. Photo prise le 03 octobre 2012 dans le parc national de Ranomafana.


Listé comme en danger d'extinction, le Vanga de Van Dam / Xenopirostris damii / Van Dam's Vanga possède le statut le plus précaire chez les Vangidés. Il ne s'observe que dans deux forêts décidues sèches dans le nord-ouest de Madagascar: Ankarafantsika et Analamera. Elles sont assez éloignées l'une de l'autre, mais il y a des habitats pouvant l'abriter entre ces deux sites, mais ils n'ont pas encore été investigués. Bien que les deux sites principaux soient protégés, ils sont progressivement réduits par la collecte d'arbres secs pour en faire du charbon et par les feux de broussailles incontrôlés. Leur avenir est loin d'être assuré. La perte d'habitat est sans doute le plus grand danger auxquels les Vangidés ont à faire face sur la Grande-Île.  Photo prise le 25 octobre 2012 au parc national d'Ankarafantsika.

le groupe 5, les Artamie azurée / Cyanolanius madagascarinus / Blue Vanga, Calicalic malgache / Calicalus madagascariensis / Red-tailed Vanga, Calicalic à épaulettes / Calicalicus rufocarpalis / Red-shouldered Vanga, Vanga écorcheur / Vanga curvirostris / Hook-billed Vanga, Eurycère de Prévost / Euryceros prevostii / Helmet Vanga et Schetbé rouxSchetba rufa / Rufous Vanga.


La diversité dans la famille des Vangidés peut surpasser celle des pinsons de Darwin (Embérézidés) ou celle des souimangas d'Hawaii (Drépanididés) si l'on considère le nombre des genres qui ont découlé d'un même ancêtre ainsi que les différences dans les dimensions corporelles, les formes du bec et la coloration du plumage. Quelques espèces ont comblé les niches occupées normalement par les pics (Picidés), les pie-grièches (Laniidés), les mésanges (Paridés) et les sittelles (Sittidés), familles toutes absentes de Madagascar. Le Vanga écorcheur / Vanga curvirostris / Hook-billed Vanga, comme son nom le suggère, ressemble à une pie-grièche autant dans son alimentation que dans son comportement alors qu'il peut rester de longs moments bien assis sur une branche à attendre le passage d'une proie. Photo prise le 08 octobre 2012 à la forêt épineuse de MOSA, près de Mangily.
La forêt primaire des basses-terres est l'habitat privilégié par le Schetbé rouxSchetba rufa / Rufous Vanga. On le retrouve dans les forêts décidues arides de l'ouest et dans les forêts sempervirentes humides de l'est. Il préfère les forêts ayant encore des gros arbres et une canopée clairsemée, laissant pénétrer la lumière. Il est sexuellement dimorphique: le mâle (illustré ci-haut) a la tête ainsi que la région à partir du menton jusqu'à la poitrine complètement noires, la femelle est noire seulement jusqu'en dessous des yeux; la partie du menton en descendant est blanche. Chez toutes les espèces de Vangidés étudiées, les deux adultes formant le couple contribuent à la fabrication du nid.  Dans le cas du schetbé, le couple est souvent accompagné d'un troisième individu. Approximativement 30% des paires qui nichent peuvent compter sur la présence de un ou de plusieurs juvéniles ou même d'un autre adulte pour les aider. La plupart des Vangidés nidifie lors de l'été austral. Dans le parc national d'Ankarafantsika, les Vangidés commence la nidification à partir de la fin-septembre / mi-octobre, dates qui coïncident avec la fin de la saison sèche, pour la finir au début ou en mi-janvier, au milieu de la saison humide. Photo prise le 25 octobre 2012 au parc national d'Ankarafantsika.  
L'Eurycère de Prévost / Euryceros prevostii / Helmet Vanga se sert de son bec comme d'une paire de pince très résistante pour attraper des gros insectes et des vertébrés comme les batraciens, les geckos et les caméléons. Généralement les Vangidés démembrent les proies trop grosses, celles munies de piquants ou celles affublées d'une carapace trop rigide, avant de les avaler. Le Vanga écorcheur coince les caméléons dans une fourche horizontale et il tire sur la chair de sa victime. L'eurycère, à l'instar d'autres Vangidés, immobilise une grosse proie avec l'une de ses pattes et il se sert de son bec pour la déchirer en morceaux pouvant être ingurgités. L'eurycère se déplace à mi-hauteur dans la forêt et il se perche habituellement entre trois et dix mètres du sol. Il peut alors demeurer sans bouger pendant de longues périodes. On retrouve cette espèce seulement dans les forêt sempervirentes humides à l'est de l'île. On le rencontre principalement entre 400 et 900 mètres d'élévation, quoiqu'il a déjà été observé à 200 mètres et quelquefois à 1800 mètres. Il préfère les forêts primaires situées dans les basses-terres et ces dernières sont grandement menacées par l'agriculture et la coupe de bois faite à l'échelle industrielle. L'incapacité de l'eurycère à s'adapter à un autre habitat met un gros doute sur sa survie à long terme. Photo prise le 16 octobre 2012 au parc national de Masoala. 

Le Calicalic à épaulettes / Calicalicus rufocarpalis / Red-shouldered Vanga a été décrit à partir de deux spécimens récoltés en 1947 près de Toliara (Tuléar), au sud-ouest de Madagascar. Il n'a pas été revu par la suite, mais photographié en 1992, puis observé à nouveau en juillet 1997 alors que neuf mâles ont été localisés dans la même région, sur la route entre La Table et St-Augustin. Cette région couvre environ 30 km² et indique une population potentielle de 30 à 100 paires d'oiseaux. Plus au sud, il est maintenant connu de Hatokaliotsy, Tsimanampetsotsa et d'autres régions sur le plateau de Mahafaly, mais la densité apparaît être très basse. L'habitat préféré du calicalic est détruit au profit du charbon et de l'élevage des chèvres qui broûtent tout. Photo prise le 09 octobre 2012 à La Table, au nord de Tuléar.


L'ordre dans lequel le groupe s'est développé n'est pas clair selon les données moléculaires, mais voici ce que les scientifiques déduisent. Dans le groupe 3, l'Artamie chabert serait devenue espèce distincte il y a approximativement 2.3 millions d'années. Dans le groupe 4, l'ancêtre se serait diversifié dans les Artamie à tête blanche, Vanga de Bernier et Vanga de Van Dam, il y a environ 1.1 millions d'années; la Falculie mantelée s'est différenciée un peu plus tard. Finalement le groupe 5 s'est scindé entre le Schetbé roux et l'Eurycère de Prévost,  il y a environ 800,000 ans.

Selon les connaissances actuelles, les Vangidés ne sont pas migrateurs et ils n'ont jamais été rapportés sur le continent africain. Il a déjà été avancé que l'Artamie azurée disparaissait des forêts décidues à grosses feuilles de la partie ouest de Madagascar durant la saison sèche, mais ceci s'est évidemment avéré faux. En fait, des individus connus localement pour chaque espèce ont été observés toute l'année, en période de nidification ou non. À Ankarafantsika, des couples nicheurs de Schetbé roux ont été bagués et ensuite monitorés. On a découvert que les mâles et les femelles étaient sédentaires tout au long de l'année et qu'ils soutenaient un territoire stable. On a également bagués sept Artamies à tête blanche, cinq mâles et deux femelles, tous nés entre novembre et décembre. Trois mâles et une femelle furent observés sur les mêmes territoires l'année suivante. Quelques Falculies mantelées baguées à Ankarafantsika étaient sédentaires et elles ont niché sur les mêmes sites durant plusieurs années consécutives. Ils étaient clairement résidents, occupant le même habitat toute l'année et ne se déplaçant que rarement sur de longues distances.

     
À Ankarafantsika, il est très facile d'observer la Falculie mantelée. Elle vient presque à notre rencontre lorsque nous quittons le véhicule dans l'aire de stationnement du parc. En malgache, cette espèce porte le nom de Voronjaza, signifiant "l'oiseau enfant" et faisant référence aux cris forts qu'elle laisse entendre, soit des "kwa-kwa" qui ressemblent à ceux de la corneille mais en plus plaintif . Il a fallu peu de temps avant que cette falculie me conduise jusqu'à son nid. Difficile de dire s'il s'agit d'un mâle ou d'une femelle puisque les deux participent activement aux tâches entourant la nidification. Photo prise au parc national Ankarafantsika le 24 octobre 2012.


Dans le but de conserver toutes les espèces de Vangidés, il est essentiel que plus d'études scientifiques soient conduites avec l'objectif de déterminer les exigences d'habitat pour chaque espèce, d'estimer de façon précise la taille des populations, les patrons de dispersion et les pourcentages concernant les succès de reproduction, aussi bien que les causes de mortalité. Une telle information est indispensable si on veut établir une bonne stratégie de conservation. Madagascar possède déjà quelques forêts ou réserves protégées et il est à espérer que la volonté des autorités malgaches restera la même afin de maintenir cette volonté de les garder à l'abri de la pression humaine. Car, tout de suite en dehors des limites de ces parcs, la forêt continue à être détruite au profit de l'agriculture, du commerce du bois, des pâturages ou des cultures sur brûlis. 


Bibliographie

Handbook of the Birds of the World. Lynx Edicions, 2009. Volume 14.

Rare Birds of the World, par Guy Mountfort. Éditions Collins, 1988.

Threatened Birds of the World. Lynx Edicions, 2000.

Birds of the Indian Ocean Islands par Olivier Langrand. Éditions Struik, 1998.



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Super Roy pour ces beaux clichés ornithos de Madagascar.
Je suis ornitho français à la retraite et bagueur d'oiseaux pour le CRBPO Paris.